Comment la situation en Colombie impacte-t-elle le cours du café ?

Le prix du café comme celui des principales soft commodities est très volatile, il n’est pas rare de voir le prix de l’arabica doubler voire tripler sur une période courte. Les contrats à terme du café arabica sont échangés sur l’Intercontinental Exchange (ICE) de New York. 

Le cours boursier de l’arabica (Coffee US C Futures) a connu une hausse spectaculaire ces derniers mois jusqu’à atteindre en juin 2021 le niveau qu’il avait en novembre 2016 - après avoir été à son plus bas niveau depuis 2005, en avril 2019 !

Plusieurs facteurs expliquent cette hausse du marché (bullish market). 

Tout d’abord, de la même manière que lors de la crise de 2008, les banques centrales et les gouvernements ont décidé de stimuler l'économie mondiale affectée par la pandémie par des mesures de relance monétaire et budgétaire. Cela crée une pression inflationniste qui entraîne une hausse des prix des matières premières, le café ne faisant pas exception.

Le Brésil ensuite, principal producteur de café mondial (il produit plus de café que le Vietnam, la Colombie et l’Indonésie réunis), où la moindre perturbation financière ou climatique impacte considérablement le cours du marché. Cette année, nous avons droit aux deux. En plus du Covid-19 qui a affecté le rythme de production et d’exportation, le real s’est considérablement apprécié face au dollar (+12 %), augmentant le coût de production du café brésilien. Encore plus grave, les sécheresses observées lors de la maturation du café pronostiquent un énorme déficit de production pour le cycle 2021-2022 (-31.5 % pour l’arabica).

Enfin, la Colombie, acteur majeur du café (10 % de la production mondiale), est notamment reconnue pour son café de très grande qualité. Le simple nom du pays sur un paquet de café est un gage de qualité pour le consommateur. Déjà fort affectée par la crise du Covid-19 (récession de 6.8 %, aggravation de la pauvreté de 42.5 %), la quatrième économie du continent sud-américain est entrée en crise en avril 2021.

Les régions productrices du meilleur café sont les plus affectées

Des révoltes se sont déclenchées dans tout le pays suite à une réforme fiscale depuis annulée, entraînant le blocage des routes conduisant aux principaux ports du pays (Buenaventura et Santa Marta sur l’Atlantique et Carthagène sur le Pacifique) ainsi qu’aux régions productrices du meilleur café du pays actuellement en pleine période de récolte (Huila, Cauca et Nariño).

C’est la première fois en plus de 10 ans que les usines de transformation (dry mills) colombiennes sont à 0% de leur capacité : le producteur du Sud ne peut plus se rendre au centre d’achat / usine et garde son café parchemin invendu chez lui et il est impossible pour les transformateurs d’envoyer leurs sacs de café vert au port (ou alors de manière très limitée car Santa Marta est saturé). “Pour faire simple, toute la chaîne de production est bloquée en raison des routes fermées” m’explique Frédéric Boppe, marchand de café de spécialité chez Condor (Bogota), “près de 800 000 sacs n’ont pas pu être exportés en mai, quand la Colombie exporte entre 13 et 14 millions de sacs chaque année, c’est énorme !”.

“La saturation du port de Santa Marta fait augmenter le coût d’exportation du café (location des conteneurs, services douaniers, etc), les différentiels à l’export dont la tendance est fixée par la Fédération nationale du café colombien (FNC) n’ont par ailleurs pas baissé malgré la hausse du cours boursier. Tout cela conduit naturellement à une valorisation des stocks spot du café colombien aux Etats-Unis, Europe et Australie” continue Frédéric.

La conséquence directe de l’arrêt quasi total et brutal des exportations colombiennes est de priver de matière première fraîche les torréfacteurs de café de spécialité qui doivent se rabattre soit sur des cafés colombien de la récolte précédente, en stock dans leur pays, ou alors trouver des alternatives dans d’autres origines qui peuvent envoyer du café frais rapidement (comme par exemple le Mexique, à la frontière avec les Etats-Unis, qui vient de terminer sa récolte en mai).

“Ce qui m’inquiète le plus, explique Frédéric, c’est que ces micro-régions du sud (Cauca et Nariño) sont en général celles qui nous fournissent en cafés particulièrement fins et complexes. Subir de telles perturbations dans la chaîne de production risque d’affecter la quantité de café disponible pour nos clients situés partout dans le monde”.

Les pays consommateurs de café premium sont en train de rouvrir grâce à la généralisation de la vaccination : la demande explose pour les torréfacteurs qui avaient été obligés de fermer ou de ne faire que de la vente à emporter. “Cette crise arrive vraiment au mauvais moment pour le café colombien, et le pire, c’est que nous n’avons aucune idée de quand la situation va s’apaiser : l’armée est dans les rues, ce n’est pas très rassurant”.

Pour résumer, le prix du café arabica dépend de très nombreux facteurs, certains n’ayant d’ailleurs aucun lien direct avec la matière première (spéculation, inflation…) et bien que la Colombie ne soit pas un assez gros producteur pour impacter à lui-seul son cours - à la différence du Brésil - la crise actuelle qui paralyse complètement le pays complique considérablement le commerce de café arabica.


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